samedi, mars 25, 2023
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Libres propos : Législatives, pour un report 

Par Adama GAYE (journaliste)*

Osons.

Le climat désordonné qui prévaut sur la scène politique sénégalaise en pleine période de tensions protéiformes, alors que le risque n’a jamais été aussi grand de voir une frange importante d’acteurs clés du processus électoral être évincés des législatives du 31 Juillet 2022, m’amène à proposer le report de ce scrutin et la remise à plat de son organisation pour qu’il soit le moment de vérité que les Sénégalais (ses) en attendent. Nous savons que, de ce désordre actuel, ne peut naître, par césarienne, qu’un Hémicycle immature, non représentatif de ce qu’il faut à notre pays à un moment où il se trouve confronté aux pires défis qui soient, d’une inflation intenable aux effets de la guerre en Caucasie, sans oublier les tensions économiques internes, l’insécurité et la désharmonie sociale…

Souvenons-nous: en 2012, en voulant forcer sa participation à l’élection présidentielle d’alors, Abdoulaye Wade avait fini par imposer aux Sénégalais (ses) un choix cornélien entre la peste qu’il était et le choléra que son adversaire, surgi d’on-ne-sait où, sans doute avec son coup de pouce, incarna. Sorti d’une longue période de gouvernance libérale tumultueuse et vénale, entre 2000 et 2012, le Sénégal avait précisément besoin d’un arbitrage électoral différent. Il lui fallait vivre une élection juste, sans magouilles, et articulée autour d’un débat politique profond, si besoin par un duel médiatique entre les deux finalistes. Ce ne fut pas le cas. En lieu et place, on eût droit à une course électorale biaisée, dont on savait d’avance que l’issue ne pouvait qu’être une victoire pour continuer ce que le peuple condamnait. L’absence d’alternative était évidente. Depuis lors, vivant, ou revivant les mêmes errements, soumis aux mêmes saccages des deniers publics et de l’image du pays, le Sénégal n’a pas avancé mais régressé.

La précipitation, on le sait, est la mère des plus grandes erreurs. Aussi bien, dans le contexte actuel, lourdement chargé, où les partis politiques sélectionnés par un dispositif censitaire déjà condamné par la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), à travers un parrainage coûteux et vicié, il fait sens de se précipiter lentement pour ne pas tomber dans un autre piège qui forcerait nos compatriotes à élire par défaut ou à ne pas avoir le privilège de soupeser, par un débat contradictoire vigoureux, les offres de la classe politique. Trop de gamineries et d’espiègleries, en plus des incartades infinies, dignes d’un arbitrage judiciaire pour ne pas dire pénal, ont rendu notre démocratie infantile. Je suis convaincu que toute élection organisée au forceps, sans calme, ne déboucherait que sur une victoire à la Pyrrhus, sur un coup de dé, voire sans gloire.

Le Conseil Constitutionnel, notre instance constitutionnelle supérieure déjà passablement discréditée, se trouve ainsi à devoir décider s’il doit exclure ou non des listes de cette compétition électorale. On peut parier que s’il limite son action à cela, il n’en sortira pas grandi, puisqu’ils sont nombreux, de divers bords, qui, en chiens de faïence, l’observent, l’arme au pied, pressés de le traiter en arbitre partial. Un juriste bien averti, Docteur Sané, de l’Université Gaston Berger, a édicté avec intelligence la thèse du « conséquentialisme », provenant de la Common Law, par laquelle il est admis qu’une décision judiciaire qui contraint un duel politique décisif sur l’avenir de la nation ne serait pas juste.

Certains, sautillant tels des moineaux en s’imaginant sortis de la cuisse de Jupiter pour sauver la démocratie Sénégalaise, s’accrochent à la Loi, qui disent que le scrutin doit avoir lieu à la date fixée. Nul n’est dupe. Trop de « louchetés » et de champignons politiques surgis avant même les premières pluies manquent de maturité et de modestie sans oublier leurs accointances douteuses -au service, pensent beaucoup, du pouvoir. Quoi qu’il en soit, avec ce processus législatif tellement chahuté, il n’y a qu’une solution pour en sortir: accepter de reporter ce scrutin. C’est ma proposition. On peut le tenir à la fin de Novembre 2022, après la saison hivernale. On pourrait supprimer la clause du parrainage. Refaire les listes, de façon ouverte. Et faire un combat démocratique loyal.

Osons.

La gravité des difficultés et des enjeux auxquels nous faisons face dicte le choix de la raison. Ce serait suicidaire d’organiser une élection qui ne serait pas une occasion de mettre à plat, dans une compétition ouverte, contradictoire, informée, acceptée unanimement, la plénitude de nos ambitions et des obstacles qui se posent à notre marche en tant que nation dans un monde ballotté entre les mutations de la 4ème révolution industrielle et le retour de démons violents, des guerres aux pandémies….

L’autre choix, c’est de poursuivre aveuglément cette folle course, au milieu des intempéries, dans la faillite qui accable le pays, sous tous les angles, vers un mur que nous approchons gravement. Ne pas oser la vraie démocratie électorale pour une fois est la plus grande bêtise qui guette le Sénégal. Trop de nouveaux dangers portés par ces législatives commandent de reculer pour mieux sauter. Il y va de l’avenir du Sénégal. Un rappel : toutes les démocraties, qui ont grandi et sont devenues solides, ont été pactées, c’est-à-dire sont passées par un moment où les parties prenantes ont pris leur courage à deux mains pour jeter les bases d’un jeu politique sérieux et structuré. Cela va de la Magna Carta, à la Charte du Mandé jusqu’aux démocraties de dernière génération, issues de la troisième vague de démocratisation nées dans les années 1980-1990.

Notre démocratie, essoufflée, doit poser les jalons de la 4ème vague que le monde attend d’accueillir avec impatience. Elle doit être sereine.

*Ancien Directeur de la Communication de la CEDEAO (1992-1996), ancien Directeur du Magazine West Africa de Londres et écrivain.

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