Sulfureux président de l’Olympique de Marseille des années fastes, Bernard Tapie, décédé ce dimanche, a entretenu avec les footballeurs africains, et notamment avec Pape Diouf, des relations passionnées teintées parfois de beaucoup de malentendus et de roublardise.
Tapie – Pape Fall
Dans l’histoire des confrontations entre l’OM et l’Ajax, une rencontre aller de Coupe de l’UEFA en 1988 a donné lieu au lynchage de l’ancien défenseur international sénégalais des années 80, Pape Fall. Fall s’était retrouvé face à la pépite néerlandaise de l’époque, Richard Witschge. Revenant sur cet épisode, le 11 mars 2009, le journal marseillais Le Phocéen écrivait sur son site internet : « Le futur Stéphanois (Witschge) fit étalage de toute sa classe depuis son aile gauche et signa un doublé. Le pauvre défenseur sénégalais de l’OM, Pape Fall, fut mis au supplice et désigné ensuite comme le coupable de la déroute olympienne. Pape Fall, arrivé à l’époque à l’OM en provenance de la SEIB de Diourbel, avait accepté de revenir sur cette rencontre ayant impacté sa carrière professionnelle. Il a rappelé avoir été obligé de remplacer au pied levé William Ayache (le titulaire) qui avait déclaré forfait. « C’est au petit déjeuner que le coach (Gérard Banide) est venu lui annoncer qu’il allait démarrer la rencontre » rappelle l’ancien défenseur sénégalais. « Le match était bizarre. Dès que je montais, les Hollandais mettaient le ballon sur le côté de Jean-François Domergue parce qu’ils savaient qu’il n’allait pas vite », avait rappelé l’ancien arrière droit international. « Et à partir de là, c’était centre et but avant que la défense de l’OM ait eu le temps de se replacer », a précisé Pape Fall, concernant cette rencontre perdue (0-3) par l’équipe phocéenne, qui jouait pourtant à domicile. Désigné comme le bouc émissaire idéal, Pape Fall est transféré par Bernard Tapie au Stade Malherbe de Caen. « C’était trop facile mais j’ai eu la force de caractère pour me relever, je suis allé à Caen où j’ai fait une excellente saison et, rebelote, je suis devenu meilleur latéral d’Afrique en Algérie et chouchou du public de la CAN 1990 », avait rappelé Pape Fall. L’OM cherche alors à le récupérer. Bernard Tapie et Jean-Pierre Bernès l’appellent mais Pape Fall refuse cette offre et soutient avoir eu gain de cause en signant par la suite un contrat de trois ans avec Caen.
Tapie – Abedi Pelé
Bernard Tapie était un dirigeant qui ne reculait devant rien pour arriver à ses fins lorsqu’il était à la tête de l’Olympique de Marseille entre avril 1986 et décembre 1994. A l’époque, pour réussir à attirer à Marseille l’attaquant ghanéen Abedi Pelé qui jouait alors à Mulhouse et était tout proche d’un accord avec Monaco durant l’été 1987, Tapie tente un coup de maître. Avant que le prodige ghanéen ne se rende à la visite médicale dans la Principauté, le président marseillais appelle le joueur et lui dit: «En général, on fait faire une prise de sang aux joueurs africains, alors quand tu vas passer la visite, tu vas refuser, dire que tu ne supportes pas ça, que c’est plus fort que toi.» Dans le même temps, Tapie active un employé de l’OM qui connaissait bien le cercle des dirigeants de Monaco en le chargeant de colporter une fausse révélation: «Tu sais, on l’a échappé belle, je n’ai pas pris Abedi Pelé, il est séropositif. Il a le Sida ». Le plan fonctionné à merveille. L’AS Monaco fini par abandonner la piste Abedi Pelé qui signait quelques heures plus tard à l’OM. «C’est comme ça, faut gagner», s’est amusé un jour Bernard Tapie sur le sujet.
Tapie – Antoine Bell
Agé de 31 ans, en 1985, Joseph Antoine Bell débarque en Europe, à l’Olympique de Marseille, qui vient tout juste de renaître de ses cendres, sauvé par les minots. Un jeune président, Bernard Tapie, s’apprête à monter une énorme équipe et l’expérience du gardien camerounais sera précieuse dans la montée en puissance de l’OM. De son passage à l’OM, Bell garde en tête deux finales de Coupe de France perdues (1986 et 87) et une place de vice-champion (1987), mais surtout l’affaire des bananes. En effet, dans le cadre de la rivalité entre Claude Bez (Bordeaux) et Bernard Tapie (Marseille), lors du championnat 1989-1990, la réception de Bordeaux se fait dans un climat délétère, sur fond d’affaire judiciaire. Tapie avait accusé son ancien gardien camerounais, passé chez l’ennemi bordelais en 1989 après une pige à Toulon, d’avoir détourné des fonds destinés à la formation de jeunes sportifs africains. Durant tout le match des bananes sont jetées à Antoine Bell, tandis que Jean-Pierre Papin tentait de le déstabiliser en lui promettant la prison. Les jets de bananes ne sont que très moyennement appréciés par Bernard Tapie qui rentre dans une colère noire et cet incident marquera la fin des comportements racistes au Vélodrome. Antoine Bell a gardé en tête ce joli geste de Tapie et a tenu aujourd’hui à lui rendre hommage après l’annonce de son décès. « Il fut mon président à l’OM, celui qui m’offrît le brassard de capitaine. Entre-nous il y eût de grands moments de complicité et de sérieux désaccords. Mais sa passion, sa compétitivité ont fait de Bernard Tapie un grand du foot. Adieu Bernard ! »
Tapie – Basile Boli
Parmi les souvenirs de 45 ans de carrière comme entraîneur de Guy Roux à la tête d’Auxerre, celui d’un échange avec Bernard Tapie à la fin des années 1980. Les faits se passent un soir de novembre 1988 au stade de l’Abbé-Deschamps, où l’AJA reçoit l’OM. À l’époque, Bernard Tapie, dont la notoriété télévisuelle vient d’exploser et fort de ses premiers succès dans le monde du sport avec l’équipe cycliste La Vie Claire, a amorcé la métamorphose de l’Olympique de Marseille, qu’il a pris en main en 1986. Ce soir-là, à l’issue de la victoire des Marseillais (1-0), Tapie, qui a notamment fondé la réussite de l’OM nouveau sur un recrutement habile, aurait discuté le cas du tout jeune Basile Boli, évoluant à l’AJ Auxerre, dans des termes assez particuliers, à en croire le récit fait par Guy Roux : – Bernard Tapie : « Je veux t’acheter ton singe aux pieds carrés ! »
– Guy Roux : « C’est qui mon singe ? »
– Bernard Tapie : « Eh bien, Boli ! »
– Guy Roux : « Revenez nous voir la saison prochaine si vous voulez toujours, et profitez-en pour faire des économies parce qu’il ne sera pas donné. »
– Bernard Tapie : « Ouais ouais, on verra, on verra. »
Tapie – Pape Diouf
Dans son livre « C’est bien plus qu’un jeu », éditions Grasset 2013, Pape Diouf avait longuement évoqué le personnage de Tapie. « Je ne risque pas d’oublier sa première conférence de presse, à son premier jour de présidence, au mois de février 1986. (…) Très rapidement, il s’en était pris à la presse de manière brutale et violente, et je suis sorti de la salle. suivi par Jean-Louis Pacull. (…) Tapie avait tout vu, et à la fin de la conférence il est passé devant nous pour nous demander la raison de notre sortie. Il lui suffisait de demander : je lui ai répondu que nous n’étions pas des journalistes au rabais, que nous n’avions pas aimé ses propos et que nous n’avions pas aimé ses propos et que nous n’avions pas voulu cautionner sa diatribe en l’écoutant. Entre nous deux, cela ne pouvait pas être simple. J’étais à moi tout seul une poche de résistance, une force bien moindre cependant que celle incarnée par le Provençal (ndlr : un journal de Marseille), la Marseillaise (ndlr: le journal employeur de Pape Diouf), n’étant que le troisième titre de la région. Sur le terrain de l’indépendance des rédactions sportives, à Marseille, Tapie a bouleversé la donne. Le Provençal était complètement à la dévotion de Tapie (…). Ma voix portait moins, mais Tapie, évidemment, entendait cette voix dissonante : il m’a très tôt identifié et nous avons commencé à avoir des relations assez particulières, faites de hauts et de bas, de conflits et de réconciliations, d’injures et de mea-culpa. C’était Tapie, avec sa personnalité dévorante. Je persiste à penser que non seulement les victoires de l’OM ont été le fruit de la démarche de Tapie, mais aussi le triomphe de l’équipe de France lors de la Coupe du monde 1998. Il est celui qui a fait comprendre aux joueurs français qu’ils pouvaient gagner. »